Le repas
- ... Sophie ? Tu m’entends ?
- Quoi ?
- Tu viens avec moi cueillir les girolles s’il te plait.
- Quoi encore ?
- Aller ma chérie ça va te prendre une heure au plus... Peut-être deux à la limite... et puis ça nous fera un délicieux dîner !
- Mais maman.....
- Tient, j’ai déjà préparé ton sac et ton manteau. N’oublie pas de mettre de bonne chaussures et de bien te couvrir, il fait frais dehors.
Je pousse un long cri d’agonie et de souffrance infini pour faire entendre mon mécontentement à ma mère. Tous les dimanches, absolument tous les dimanches on va cueillir ces putains de champignons. J’en ai assez moi du poulet aux girolles ! C’est pas si bon que ça en plus...
Je lasse mes chaussures en grognant pendant que ma mère s’arme d’une lampe de poche et de frontales. Il fait nuit tôt en en hiver, surtout en montagne, et encore plus dans les forêts. Je me couvre d’une lourde polaire avant de la recouvrir de mon manteau rembourré tout neuf. Je dois bien avouer qu’enfiler ce manteau me réconcilie un peu avec la cueillette aux girolles. Si douillet, si chaud, si confortable.... aaaaaaaah qu’est ce que j’aime ce manteau !
Nous sortons vers 16h30. Même s’il ne fait pas encore nuit, la luminosité est déjà bien faible. J’observe les alentours de notre maison. L’air est frais, de la vapeur d’eau s’échappe à chacune de mes expirations. Ma mère me donne une lampe frontale que j’allume et place sur ma tête.
Le ciel était une véritable palette de couleurs. Du rose-orangé en passant par le violet et le bleu sombre, mêlé à la couleur pâle des quelques nuages qui patientaient dans le ciel.
J’ai toujours habitée ici, dans cette ferme, avec ma mère. Il n’y a rien autour. Rien d’autre que des champs, nos vaches et une forêt derrière la maison. Nous avons l’avantage de ne pas être dérangé par nos voisins, puisque nous n’en avons tous simplement aucun. Les autres habitations les plus proches sont à six kilomètres.
Ma mère et moi prenons la direction de la forêt en discutant de tout et de rien. Je n’ai jamais aimé la cueillette, surtout en hiver. La forêt est oppressante une fois plongée dans les ténèbres. N’importe qui ou n’importe quoi pourrait surgir de n’importe où à n’importe quel mom-
- AH UNE GIROLLE !!
- PUTAIN MAMAN TU M’AS FAIT FLIPPÉ CALME TOI MERDE !
- Désolé ma chatounette j’ai tendance à m’emballer quand j’ai le ventre vide.
- Maman.... arrête....
- Oui promis j’arrête de m’emballer, la prochaine fois j’éviterai de crier.
- Non, c’est pas ça. Arrête de m’appeler « chatounette » j’ai bientôt 17 ans tu sais...
- Je ferai de mon mieux.... chatounette.
- Mamaaaaaaaaaaan....
Et la voila parti dans un fou rire... Bon d’accord je dois admettre que je souris aussi.
La nuit tombe rapidement alors que nos sacs se remplissent lentement de champignons, la température dégringole, passant sous la barre des dix degrés.
- Ça devrait suffir Sophie, je pense qu’on peut commencer à rentrer doucement.
- Enfiiiiiiin !
- Arrête de râler veux-tu ?
- Seulement si tu arrêtes de m’appeler Chatounette !
- Je crois qu’on a un deal ma chère !
C’est alors qu’un drôle de bruit nous interrompt. Un mélange étrange entre un râle et du métal qui raclerait contre du granit. Au début c’était léger, je pensais que j’hallucinais avant de voir la panique sur le visage de ma mère. Nos lampes frontales se mirent à grésiller alors que le son se fit de plus en plus fort.
« C’est la chose... » murmura ma mère.
- COURS SOPHIE !
Je n’ai pas eu le temps de réagir qu’une masse informe s’écrasa contre l’arbre juste à côté de moi dans un bruit sourd. Un cri de terreur m’échappe alors que je me mets à courir en direction de la maison, abandonnant le sac de girolles et ma mère.
Les ténèbres me suivaient, ma lampe frontale continuait de grésiller, m’empêchant de voir où je mettais les pieds. J’entendais des bruits de pas derrière moi, mais j’étais trop terrifié pour me retourner. J’ai continuée à courir encore et encore, et, peu avant d’arriver à la maison, je me suis rendu compte qu’il n’y avait personne derrière moi. Ni le monstre informe... ni ma mère.
J’entre précipitamment dans ma maison en pleure, le souffle court, et m’effondre au sol. C’était quoi ce truc ? « La chose ? » c’était pas ce dont papa parlait tout le temps avant de disparaître mystérieusement il y a dix ans ? Cette même chose auquel ma mère ne croyait pas ? Qu’est ce qu-
- A table ma chatounette !
Mon cœur loupa un battement.
- Bah alors ma puce, quelque chose ne va pas ?
- Ma-Maman ?
- C’est bien moi. Il y a un problème ?
- ... qu’est ce que... comment as tu... ?
Elle posa une grande marmite remplie de champignons bien cuits. Des girolles.
- Vient t’asseoir et manger, ça te fera du bien.
La marmite. Maman ne laissait JAMAIS ce qu’elle cuisinait dans la marmite. Elle aimait faire de jolies présentations dans des plats sophistiqués, monter de jolies assiettes etc.
Autrement dit...... ce n’est pas ma mère... cette chose n’est pas... la chose.... c’est la chose....
Un frisson d’effroi parcouru mon corps de la tête aux pieds alors que cette « mère » s’approchait lentement de moi, avec des gestes beaucoup trop gracieux et fluide pour qu’ils soient humains. Cette « mère » me regarda dans les yeux avec un sourire bien plus effrayant que tout ce que j’avais pu voir dans ma vie et dit :
- C’est l’heure du repas, chatounette.
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