Charlotte, j’ai faim
- T’y es presque continue.
Je m’appelle Charlotte Daryle. Je donne des cours d’anglais particulier chez moi quand j’ai besoin d’arrondir mes fins de mois. En général je m’aide de bouquins ou d’exercices trouvés sur le net. Ce soir je suis en compagnie de Nathan. Il a 22 ans, deux ans de moins que moi, et il s’est motivé pour prendre des cours particuliers dans l’objectif de repasser son bac cette année. Il est déterminé, suffisamment pour réussir. Du moins en anglais. C’est quelqu’un de sympathique, bien qu’un peu étrange.
- C’est bon comme ça ?
Je prends sa feuille et lis la phrase qu’il a rédigée avec attention. « Roses are red, violettes are blue, come in my bed, because i love you. »
- Ahah, très drôle Roméo. On en a déjà parlé, je suis ta professeure d’anglais et rien d’autre. Laisse tomber tes avances pas si subtile que ça et concentre toi sur l’anglais s’il te plaît. Aller recommence. Et écrit quelque chose d’intelligent cette fois.
Ce n’est pas la première fois qu’il fait ça. J’ai même voulu de le lâcher à cause de ça, mais j’ai besoin d’argent, et il est mon seul client actuellement. Alors j’ai continué à lui donner des cours, et il recommence à forcer de temps en temps. Je le rembarre à chaque fois.
Je prends sa feuille une fois qu’il a fini d’écrire sa phrase et la lis à voix haute. « I think i just miss the last bus. »
- Pas mal. Mais tu n’as pas conjugué le verbe au temps qu’il fallait. Dans ce contexte ce serait « i think i just missed the last bus. » Tu as compris ?
- Je le sais en plus ! J’oublie à chaque fois !
- C’est pas grave ça viendra.
- Tôt ou tard.... plutôt tard...
- Mieux vaut tard que jamais.
- Ma mère disait ça avant que mon père ne meure parce qu’il n’y avait pas assez de dons d’organe.
- Oh, je suis navré...
- Ça fait rien, je m’y suis fait.
Je jette un rapide coup d’œil à l’horloge : 22h50
- Je crois que tu as rarement autant travaillé ton anglais en un cours Nathan, on a dépassé l’horaire de plus de vingt minutes.
- Oui je sais. J’ai raté le dernier bus pour rentrer chez moi.
- Attends quoi ? C’était sérieux ?
Mon élève hoche lentement la tête de haut en bas. Oh le con. Il aurait pas pu prévenir cet idiot ?
- Et tu comptes faire comment maintenant ? Tu habites plutôt loin non ?
- 35 minutes de bus, 30 de voiture.
- Miséricorde....
- Je peux rester dormir ici sinon, je partirai demain matin pour prendre le premier bus. Il passe à 6h15.
- C’est hors de question Nathan. T’as bien vu mon appartement ! C’est un deux pièces ! Il n’y a pas de place pour un autre lit.
- Sauf dans ta chambre. Je sais que tu as un matelas en rab aussi.
- Attends t’es allé fouiller dans ma chambre ?!
- Pendant que tu étais aux toilettes... désolé... je n’ai pas pu résister...
- Dégage de chez moi.
- Non attends Charlotte s’il te plait ! J’ai nul part où dormir et je n’ai pas assez de thune pour appeler un taxi !
- Ça c’est ton problème ! Tu n’avais qu’à me prévenir quand tu as vu qu’on avait dépassé l’heure !
- Mais quand j’ai remarqué il était déjà trop tard !
- Bordel mais tu abuses vraiment hein ! Okay tu peux rester. Mais je te préviens, si tu tentes quoi que ce soit d’étrange, je te vire à coups de pieds dans le derrière.
- Tout se passera bien, promis !
Je fais bouillir de l’eau pendant que Nathan met le couvert puis va préparer son lit dans ma chambre. Mais qu’est ce qui m’a prit d’accepter. Il a beau être gentil ça se voit qu’il en pince pour moi... J’espère sincèrement qu’il a compris que je ne déconnais pas tout à l’heure.
Je mets les pâtes dans l’eau bouillante et mets le minuteur sur huit minutes après avoir baissé le feu.
- Nathan, t’as huit minutes pour prendre une douche si tu veux. Il y a des serviettes propres dans le placard sous le lavabo.
- Super ! Merci Charlotte.
- Whatever....
L’alarme de la minuterie résonne dans mon deux pièces. Je sors une passoire, j’écoute les pâtes et les verse dans mon assiette et celle de Nathan. Ce dernier sort juste a temps de la douche pour le repas.
Un repas qui passe lentement dans un silence pesant et gênant.
Il est minuit moins vingt lorsque nous allons nous coucher. Je m’allonge dans mon lit et tourne le dos à Nathan, qui s’allonge sur son matelas, par terre à côté de mon lit, en me tournant également le dos. Je place une main sous mon oreiller, à côté du couteau de cuisine que j’ai discrètement pris.
- Good night.
Dit-il, fier de lui. Je ne sais pas ce qu’il essaie de faire, mais dans le doute je réponds :
- Buenas noches.
J’ai mis du temps à trouver le sommeil, mais j’ai fini par le trouver. Juste avant de m’endormir, j’ai tout de même remarqué cette odeur étrange. Cette odeur que je sens presque tous les soirs depuis plus d’un mois.
- Hey Charlotte...
- Hmmmm....
- Charlotte, réveille toi.
J’ouvre les yeux, dans les vapes.
- Quoi encore... ?
- Charlotte, j’ai faim.
- Quoi ?
- J’ai faim.
- Mais il est 3h du matin !
- Oui. Mais j’ai faim.
- Mais c’est quoi ton problème à la fin ?
- Chuuuuut !
Me dit il en continuant de chuchoter. Je le regarde interloqué.
- Il y a un fast food ouvert 24h/24 deux rues d’ici. Allons y manger.
- Nathan. Il est 3h du matin putain.
- S’il te plaît.
- Non.
- Pretty please.
- Hors de question.
- Mais j’ai la dalle moi !
Me dit il d’un ton suppliant, comme si sa vie en dépendait. Ou la mienne. Un frisson parcourt mon corps. Je ressers ma poigne contre le manche du couteau, toujours planqué sous mon oreiller. Non, je me fais des films, c’est rien. Il a juste faim.
- Il reste des pâtes dans le frigo si tu veux, maintenant laisse moi dormir d’accord ?
- Non. Je souhaite aller au fast food.
- Nathan !
- Maintenant !
Son visage était crispé. Il semblait effrayé de quelque chose. Une crise de panique ? Peut être qu’il ne supporte pas d’entré dans le noir dans un espace clôt ?
- S’il te plaît Charlotte.
- Uh... Fiiiiine. Vas attendre dans le salon le temps que je m’habille. Par contre c’est toi qui paye. Pour toi, et pour moi.
- Deal.
Je m’habille en vitesse, enfile un lourd manteau et glisse le couteau dans la poche intérieur droite de ce dernier ainsi que mon téléphone dans la gauche. Une boule d’angoisse me pèse sur le ventre, comme si mes intestins s’étaient emmêlés jusqu’à créer des noeuds si complexes que même un marin serait incapable de les reproduire.
Lorsque je sors de ma chambre Nathan m’attends devant la porte d’entré, déjà tout habillé. Je le rejoins et nous descendons dans la rue. Il est 3h12 du matin.
- Alors il est où ce fast food Nathan ? J’en ai jamais entendu parle moi.
Il me regarde dans les yeux en fronçant les sourcils.
- Quel fast food ?
- Celui dont tu parlais il y a cinq minutes... hey, t’es vraiment bizarre aujourd’hui t’es certain que ça va ?
- Oui oui je vais bien promis.
Dit-il rapidement en se frottant les mains.
- Tu le dois un repas tu te rappelles ? Si on allait manger un truc ?
- En fait... je n’ai pas faim.
- Pardon ?
- Charlotte. Il y a un mec qui dort sous ton lit.
- Q-quoi ?
- Cette nuit, à 3h, je le suis réveillé et je me suis retourner pour trouver une position confortable. Et il y a un homme. Qui pionce. Sous ton lit.
- Arrêtes avec ces conneries d’accord c’est pas drôle du tout !
- J’ai carrément paniqué ! Je ne savais pas quoi faire ! En plus tu refusais de sortir de ton appart mais il fallait absolument que je te le dise sans qu’il n’entende parce que je flippais grave !
- Attends Nathan t’es sérieux là ? 100% sérieux ?
Il hocha la tête, boulversé.
- Bloody hell.
- L’addition s’il vous plaît !
Le serveur opina de la tête puis apporta l’addition.
- Je dois bien l’admettre... je pensais que la chose qui clochait chez moi, ce soir là, c’était toi. Jamais je ne me serais douté qu’un sans abris avait élu domicile sous mon lit... merci de m’avoir prévenu Nathan. Mais tu m’as quand même sérieusement fait flipper !
- Oui je sais, désolé...
Marmonna-t-il en composant le code de sa carte bleue.
- Je comprends mieux pourquoi mes chaussettes disparaissaient maintenant. Je me demande comment j’ai pu ne pas le remarquer pendant tout ce temps...
- Va savoir... maintenant il a été arrêté. Tu n’as plus à t’inquiéter de ça.
- Au fait Nathan. Je voulais te dire quelque chose d’important...
- Oui ?
- Tu n’aurais pas un bus à prendre par hasard ?
- Oh shit !
S’exclama-t-il en se levant précipitamment.
- Je dois vraiment y aller je te laisse ! Bisous Charlotte !
Je reste assise et le regarde partir en courant. Quel idiot quand même... Je sors deux pièces de deux euro et décide de rentrer à mon appartement.
C’est la tête légère que je le couche ce soir là. Sans cette odeur étrange que je n’arrivais pas à identifier il y a peu.
Comme quoi, les choses sont parfois bien différentes de ce dont elles ont l’air.
3
Followers
You must be logged in to post a comment. Log in or sign up.